08/10/2023

le passé esclavagiste du Havre

A l’heure où de nombreux hommes politiques (et pas qu’à l’extrême droite), osent affirmer que le colonialisme, voire  l’esclavagisme, ont eu des effets positifs sur le développement et la vie des populations concernées, nous poursuivons notre éclairage à travers l’interview d’Anais Guernédos, Présidente de l’association « Mémoires et Partage » du Havre réalisé par Jacques Defortescu  .

Nous vous conseillons particulièrement les visites « lieu de la traite des noirs au Havre »  organisées par « Mémoires et Partages » les 4 novembre et 2 décembre . Voir en fin de l’ article les modalités de réservation.

Nous  vous invitons également à regarder l’émission de FR3 Normandie intitulé : « Le souvenir dans la peau, esclavage en terre normande ». en cliquant ici

 

Questions à ANAÏS GERNIDOS présidente de l’association
 « Mémoires et Partages » du Havre.

Question :En 1985 a eu lieu une exposition sur le sujet de la traite des noirs au Muma. Depuis, il y a eu les travaux de Claude Malon et d’Éric Saunier, datant des années 2000 ou 2012, et la conférence faite à l’initiative du CHRH autour du livre d’un jeune chercheur havrais en 2020. Ça ne date donc pas d’hier que cette question du commerce triangulaire est prise en compte au Havre.

En quoi l’association « Mémoires et Partages », créée le 8 août 2020, innove-t-elle ?

Anaïs Gernidos :

Elle met en lumière les personnages dont les noms sont insAcrits sur des plaques de rue et qui restent anonymes. Par exemple la rue Jules Masurier[1], on ne va pas savoir qui il était. Notre association innove en faisant connaitre qui étaient ces personnages, et le passé sombre de la ville dont on ne parle pas du fait des bombardements de 1944, et toutes les traces physiques ont disparu. Nous sommes membres de la société civile et notre but est de vulgariser cette période d’exploitation d’êtres. Notre démarche consiste à mettre cette histoire à hauteur des gens, à la disposition de Monsieur et Madame tout le monde.

 Question : Le fait de dénoncer, comme vous le faites, qu’entre 1783 et 1792, 45 maisons havraises de commerce armaient des navires pour la traite des noirs, ainsi que le rôle joué par la bourgeoisie havraise (par exemple Begouën-Demeaux[2] ou Hilaire Colombel, qui, rappelons ­­−le furent Maires du Havre) suffit-elle ?

Anaïs Gernidos : Il ne s’agit pas pour nous de dénoncer pour dénoncer. La conséquence de l’organisation de la traite des noirs et du commerce triangulaire a créé le racisme ! Si nous tenons à montrer que le racisme a ses sources et ses propres codes, il continue d’exister puisque, sur les murs de notre ville, il y a les noms de ces gens-là, qui sont honorés comme si de rien n’était.  Or, outre qu’ils se sont fait des fortunes colossales, ils ont contribué à la construction du racisme. Nous voulons faire comprendre au plus grand nombre la démarche très froide de ces commerçants-là ! Et c’est cette démarche qui a consisté à « banaliser » le racisme. Le racisme est le produit de l’esclavage né du commerce triangulaire, dont le Havre fut le deuxième port français.

Question : En 1926, il sera créé au Havre un éphémère « Comité Havrais de défense de la race nègre » animé par des militants politiques du tout jeune PCF et de militants syndicaux de la CGT, comme l’a rappelé dans ses travaux Claude Malon. Quels liens votre association a-t-elle avec le mouvement ouvrier ?

Anaïs Gernidos :  Il n’y a pas de distinction à faire dans la manière dont la classe ouvrière est encore aujourd’hui exploitée, toujours par les mêmes. Les bras des ouvriers et des ouvrières sont nécessaires pour enrichir toujours les plus riches comme dans le commerce triangulaire. Je le répète, il n’y a pas de distinction à faire, il faut s’unir pour lutter contre toute forme d’injustice.

Question : Pouvez-vous nous dire un mot sur l’exposition actuelle à l’Hôtel Dubocage de Bléville jusqu’au 10 novembre prochain : ESCLAVAGE Mémoires Normandes ?

Anaïs Gernidos : La ville a fait un 1er pas, il y en a encore à faire, pour sortir de ce silence-là, car le silence n’aide pas. L’adage dit « Qui ne dit mot consent » ! Affiner, montrer les responsabilités que la ville a eu dans cette histoire est indispensable. Les gens qui sont aujourd’hui à la tête de la municipalité ne sont bien sûr pas responsables de ce qu’ont fait les autres « AVANT ».  Mais leur responsabilité réside dans le fait qu’ils sont à la tête de cette ville et doivent assumer son passé, même s’il est peu glorieux. Ne pas parler de l’esclavage, c’est considérer que les noirs résidants dans la ville ne comptent pas. On a infériorisé les gens ! La ville doit prendre ses responsabilités et montrer sa volonté de réparer ce qui a été fait ! Nous, nous ne souhaitons pas changer le nom des rues. Il n’y a plus de traces des belles maisons que les bourgeois avaient fait construire à l’époque, du fait des bombardements (NB-Sauf peut-être la maison de l’armateur). Nous, nous souhaitons que soit apposé en bas des plaques qui portent le nom des individus qui ont fait le commerce triangulaire, une petite biographie. On ne peut mettre sur le même pied d’égalité des hommes comme René Cance ou André Duroméa et Jules Masurier. Ce ne serait pas logique. Il faut identifier les choses, que chacun puisse se repérer moralement. C’est un devoir moral.

Propos recueillis par J. Defortescu

Les 7 octobre, 4 novembre, 2 décembre, des visites du Havre, lieu de la traite des noirs est organisée par « Mémoires et partages ». Rendez-vous à 10 h devant la statue de François 1er face au bassin de la barre. Inscriptions auprès d’Anaïs Gernidos au 06-78-18-44-71 ou par courriel : augustine.gernidos@wanadoo.fr (12€ /personne, 5 € pour les enfants de + 12 ans)

[1] Jules Masurier est né au Havre en 1812 et mort à Paris en 1888. C’était un négociant-armateur et maire du Havre. La rue qui porte son nom est la seule qui fasse référence au commerce triangulaire. Jules Masurier a participé à la traite des noirs jusqu’en 1862, alors que c’était interdit depuis 1815. En 1860, au large de la Havane, l’un de ses 29 navires se fait intercepter : Jules Masurier y mettra le feu pour effacer toute trace de vie à bord. Il sera contraint de démissionner de la Chambre de Commerce suite au scandale, mais deviendra malgré tout maire du Havre de 1874 à 1878.

 

[2] André Begouën- Demeaux est le fils de Jacques-François Begouën. Il obtient d’ajouter le nom Demeaux à son patronyme par ordonnance royale du 6 septembre 1814, ce qui permet de distinguer ses descendants des autres branches de la même famille. L’un des principaux armateurs du Havre est président de la chambre de commerce et du tribunal de commerce. Il a pris part à la création de la Compagnie du port du Havre en 1818. Il devient maire de la ville du Havre le 20 juin 1821 et le reste jusqu’au 15 août 1830. Il préside l’Intendance sanitaire du Havre. En 1830, son intervention a permis seule de ramener le calme dans la ville à la suite des mouvements qui ont suivi l’annonce des Ordonnances Légitimistes. Il démissionne après la révolution de Juillet et devient alors secrétaire de la Chambre de commerce. Gendre de Stanislas Foäche, il était le beau-père de l’armateur Amand Lemire (1793-1869), président de la Chambre de commerce de Rouen.

 

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